Du produit au service : piloter l’industrie aéronautique vers un futur digital

par Philippe Armandon - Directeur Conseil Aérospatial & Excellence des opérations industrielles, Sopra Steria
par Gaudérique Garrigue - Business Domain Leader - Customer Services, Sopra Steria Next
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Face à la hausse constante du nombre de passagers et à la recrudescence de la concurrence, les constructeurs aéronautiques sont aujourd’hui plus que jamais sous pression. Mais tout défi représente également une opportunité. C’est pourquoi la croissance et la survie des entreprises du secteur aéronautique passent par la transformation numérique : de l’ingénierie à la fabrication en passant par les services, etc. Si une partie de cette évolution est d’ordre technologique, il est tout aussi important d’améliorer l’agilité de l’ensemble des processus et la résilience des opérations. Mais la digilitalisation va au-delà de l’intégration des nouvelles technologies ; l’esprit humain doit lui aussi s’adapter pour accompagner le mouvement.
 

Trafic aérien en hausse

Depuis plus de 20 ans, le trafic de passagers n’a cessé d’augmenter à un rythme de 2 à 5 % par an. Résultat : la demande en avions neufs n’a jamais été aussi forte, de même que les besoins en matière d’assistance et de services. Malgré des conditions économiques et environnementales défavorables, toutes les prévisions de marché pour les principaux équipementiers et analystes convergent dans le même sens, à savoir le doublement de la flotte d’ici 20 ans avec plus de 40 000 avions de plus de 100 sièges en service attendus d’ici 2035. Par conséquent, le marché secondaire devrait connaître une croissance encore plus fulgurante, avec une demande en services aéronautiques commerciaux estimée à 8 500 milliards de dollars sur les 20 prochaines années.  Représentant au total 1 500 milliards de dollars sur cette période, les services MRO devraient constituer le principal domaine de service, suivis par les pièces de rechange, la formation et les services de modernisation.
 

Nouvelle concurrence

Cette course à l’amélioration des produits et services redistribue progressivement les cartes entre les équipementiers classiques, les exploitants et les fournisseurs de service car tous veulent s’emparer de nouveaux segments de marché, ouvrant la porte à de nouvelles alliances, fusions et partenariats, mais aussi à des rivalités inattendues.
 
Comme dans tous les autres secteurs, les nouvelles opportunités numériques vont également accélérer l’émergence de nouveaux acteurs qui comptent bien jouer les trouble-fête en défiant les business models actuels, faisant fi des contraintes classiques liées aux matériaux, à la production et à la chaîne d’approvisionnement.
 
Et il ne fait aucun doute que la concurrence va être de plus en plus féroce avec l’arrivée inéluctable de nouveaux équipementiers, à l’instar de Comac en Chine, qui vont pénétrer le marché une fois leur certification obtenue. Certains de ces nouveaux arrivants en profitent pour muscler leurs processus industriels, y intégrant de nouvelles technologies et approches inspirées de sociétés comme SpaceX ou Blue Origins. Au terme de 30 années de relative stabilité, l’aéronautique entre indéniablement dans une nouvelle ère. Les inventeurs des nouveaux concepts supersoniques ne sont pas les grands groupes bien installés, mais plutôt des start-ups.
 

Développement durable

Un autre défi de taille est la prise de conscience environnementale de plus en plus forte. En effet, l’empreinte écologique fait désormais partie des principales priorités des constructeurs, à l’image d’Airbus qui a lancé un programme-cadre sur 10 ans dans le but de produire des avions “plus électriques”. Contrairement aux bouleversements technologiques et au renforcement de la concurrence, la pression écologique dans le domaine de l’aérien provient principalement des consommateurs, ces jeunes passagers qui sont inquiets de l’impact négatif de l’aviation sur l’environnement, même si les gouvernements européens, et notamment français, ont rejoint le mouvement depuis qu’ils envisagent d’augmenter la taxe sur le kérosène. En Suède, le trafic de passagers a chuté au cours des 12 derniers mois, dégringolant de 4,4 % au premier trimestre 2019 en raison du “flygskam”, la honte de voler.
 

Données et services

Parallèlement à ces mouvements profonds, les services numériques vont augmenter de 740 milliards de dollars d’ici 2035, générant une “course aux données” sans précédent chez les équipementiers, les prestataires MRO, les transporteurs et les grands fournisseurs.
 
Le secteur aéronautique connaît un tournant majeur puisqu’il intègre de plus en plus de services dans une activité purement axée sur le produit.  Les entreprises mettent en place de nouveaux business models autour de produits “utilisables” et anticipent la gestion du cycle de vie, développent des services de maintenance de pointe, proposent des nouvelles solutions de modernisation, affinent l’optimisation des itinéraires ainsi que la gestion des performances de la flotte pour, au final, améliorer l’expérience du passager. Là aussi, les constructeurs redoublent d’efforts afin de collecter non pas simplement plus, mais de meilleures données, dans le but d’accroître leurs parts de marché. Autre facteur de complexité : cette transition a pour cadre un marché extrêmement réglementé empreint d’une forte culture de préservation de l’information.
 
Les entreprises mettent en place de nouveaux modèles commerciaux autour de produits “utilisables” et anticipent la gestion du cycle de vie, développent des services de maintenance de pointe, proposent des nouvelles solutions de modernisation, affinent l’optimisation des itinéraires ainsi que la gestion des performances de la flotte pour, au final, améliorer l’expérience du passager.
 

La révolution 4.0 : des opportunités et des défis

La révolution de “l’industrie 4.0” dont tout le monde parle est sur le point de transformer, non seulement les processus de production, mais aussi l’intégralité de l’offre de produits et services ainsi que la relation avec le client. Elle est portée par le développement d’un vaste éventail de technologies, notamment le big data, l’intelligence artificielle, la robotique, les cobots et l’Internet des objets, mais elle est aussi stimulée par la combinaison de tous les équipements des usines connectées et du cloud. 
 
L’IoT permet de recueillir une grande quantité de données, que ce soit en vol mais aussi pendant le processus de fabrication. Cela permet de faire des miracles en matière d’excellence opérationnelle avec un appui considérable de l’intelligence artificielle pour gérer et interpréter toutes les données supplémentaires. Les technologies, à l’instar de l’impression en 3D, favoriseront l’essor de la fabrication de précision ainsi que la réduction des temps de cycle, tandis que les maquettes numériques et la réalité augmentée contribueront à raccourcir le temps consacré à la certification et à la conformité aux règles de sécurité en permettant par exemple la simulation complète d’essais en vol (i.e. virtuels). Si cette application en est encore à ses prémisses, la réalité augmentée pourrait bientôt permettre de simuler l’intégralité du processus de production au sein d’une usine, voire même tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
 
Mais derrière toutes ces technologies se cache un changement bien plus profond, à savoir l’intégration de différents blocs numérisés dans un même système en réseau pour plus d’efficacité, de souplesse et de résilience au niveau d’un processus de fabrication et d’une chaîne d’approvisionnement qui se basent sur les données. Alors que le secteur aéronautique est formé d’un vaste réseau de prestataires, parfois très modestes, une amélioration de sa flexibilité lui permettrait de mieux planifier sa chaîne d’approvisionnement et de mieux gérer ses capacités afin de diminuer significativement ses coûts de production. Enfin et surtout, cette intégration informatique permettra aux exploitants et à leurs collaborateurs de prendre plus de micro-décisions puisqu’ils recevront sur leurs périphériques mobiles et leurs outils connectés des informations plus pertinentes.
 
Il peut être très judicieux d’analyser la rentabilité de ces nouvelles capacités numériques. Si l’on prend l’exemple du processus de conformité :  il est possible de raccourcir le temps d’inspection de plus de moitié et le cycle général, d’au moins 30 %, en intégrant puis en mettant en relation les données et documents issus de différents systèmes d’ingénierie, de production et de qualité. Au niveau de la production, il est également possible d’augmenter de 80 % minimum l’efficacité de certaines opérations de fabrication spécifiques lorsqu’elles sont associées aux technologies numériques (réalité augmentée, périphériques connectés, assistance à distance).
 
Néanmoins, beaucoup d’obstacles se dressent encore sur le chemin de “l’industrie 4.0”. Tout d’abord, la culture de l’entreprise doit évoluer au même rythme que la technologie. En d’autres termes, il faut donner aux personnes les moyens de s’adapter à ces outils et d’adopter de toutes nouvelles façons de travailler. C’est pourquoi la requalification et la (re)formation sont d’une importance capitale. Tout comme la capacité des cadres à collaborer et à éviter les comportements individualistes. Dans cette optique, les ressources humaines et les encadrants devront inévitablement assumer plus de responsabilités afin que leur équipage soit en parfaite adéquation avec les besoins du client et les objectifs de la société. Bien entendu, il est indispensable que cette transformation n’ait aucune incidence sur le taux de production.
 
Au-delà de la culture d’entreprise, la guerre des talents bat son plein et devrait perdurer dans un avenir proche tant il est aujourd’hui difficile de trouver les bons data scientists et les experts capables de créer les bons algorithmes pour tester, simuler et analyser efficacement les causes profondes des problèmes de numérisation.
 

La mutation vers les services

L’évolution vers les services constitue la suite logique de l’adoption de la technologie numérique. C’est pourquoi la modélisation (de l’organisation, des processus et des données) est si importante pour comprendre le fonctionnement (réel ou théorique) d’une entreprise et l’aider à franchir le cap du numérique (de l’ingénierie à la fabrication, en passant par les services) tout en gardant à l’esprit les besoins du client final. Autrement dit, il s’agit de la capacité d’un constructeur à intégrer au moment de la conception et de l’ingénierie les données générées pendant l’exploitation et la maintenance afin de produire les meilleurs avions. Une fois établie, une solide boucle de rétroaction devrait vraisemblablement générer toute une série de nouveaux services afin de corréler les données du trafic à l’itinéraire, la compagnie aérienne, les passagers et les données de maintenance. On peut envisager le constructeur aéronautique de demain comme un organisme qui serait en constante interaction avec des partenaires internes et externes, reconfigurant ses services en fonction des priorités du marché.
 
Les entreprises doivent donc désormais se considérer comme un maillon d’une chaîne de valeur globale. Dans ce contexte, elles doivent mettre en place des partenariats, collaborer plus étroitement avec leurs fournisseurs et clients, mais aussi confier une partie de leurs algorithmes à des start-ups et partenaires externes afin d’améliorer la gestion globale du processus de production (intelligence artificielle, moteurs d’optimisation). En d’autres termes, elles auront fait une grande partie du chemin lorsqu’elles auront réalisé qu’elles font partie d’un écosystème plus grand. Si beaucoup d’entreprises en ont déjà conscience, elles ont encore du mal à le concrétiser.
 
L’entreprise plateforme, comme nous la nommons chez Sopra Steria, a pour vocation de piloter cet écosystème grâce aux capacités du cloud, notamment la conception collaborative, les prévisions, l’exploitation des données, les processus prédictifs et les plateformes interconnectées. Il s’agit de créer un point de convergence grâce à des données précises, de haute qualité, dans le but ultime d’assurer la continuité numérique. Les entreprises qui réussiront à améliorer la qualité de leurs données ainsi que leurs capacités d’analyse tout en gérant de près leur écosystème sont celles qui pourront prendre l’ascendant sur la concurrence parce qu’elles auront consolidé leurs performances opérationnelles.
 

Le passage à l’ère numérique

Avec autant d’enjeux, il est primordial de relever les défis de plus en plus complexes que nous impose la transformation à venir. Il faut à tout prix éviter de tomber dans le piège de la validation de principe sans une vraie analyse de la rentabilité. Trop souvent, les entreprises prennent des raccourcis : si elles passent de plus en plus au numérique pour certaines de leurs opérations, elles hésitent à repenser l’ensemble du processus. Dans ce genre de situations, il faut placer l’humain et les données au cœur de la démarche. Ces efforts de réorganisation doivent fournir les bonnes données aux bonnes personnes afin qu’elles prennent les bonnes décisions. Il faut gérer avec tact ce bouleversement lié aux données pour éviter que les collaborateurs ne se sentent menacés ou remplacés.
 
Toutefois, pour réussir leur entrée dans l’ère numérique, les entreprises ne doivent pas se contenter d’améliorer leur processus, elles doivent réaliser une véritable transformation. Et cette démarche implique une excellence opérationnelle. Surtout, elles doivent parfaitement connaître leurs clients. Dans cette optique, elles doivent réfléchir très tôt, dès la conception du produit, aux services qu’elles pourraient proposer et elles doivent être suffisamment résilientes pour adapter ces offres et leur back-office aux signaux envoyés par le marché.
 
D’une manière générale, pour entrer dans l’univers du service, il faut avoir une vision holistique de l’entreprise au sein de son écosystème, comprendre la technologie et adopter une approche à la fois pragmatique et rigoureuse pour la mise en œuvre et le déploiement. Enfin, cette transformation passe par une certaine agilité et une certaine résilience au niveau de l’entreprise. En cette ère digitale actuelle, les entreprises doivent considérer leurs collaborateurs et leurs systèmes d’information comme des ressources stratégiques. Parallèlement, elles doivent trouver le juste milieu entre innovation et maintien de l’ADN et de la culture de l’entreprise.
 
Autant d’exigences qui nécessitent une vision à long terme.
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